Rapports d'événement FR/EN: Applications mobiles en santé: enjeux éthiques et juridiques - Mobile health applications: ethical and legal challenges

English version follows

Il est indéniable que la santé mobile n’est plus un scénario de science-fiction, mais bien une réalité qui s’est rapidement infiltrée dans la vie quotidienne. De nos jours, l’individu et le professionnel ont accès à une foule d’informations en lien avec la santé au bout de leurs doigts. Cette transition entraîne son lot de promesses, mais soulève également de vives inquiétudes. Certains y voient la solution miracle, d’autres, le début de l’apocalypse. C’est dans ce contexte visant à apporter des pistes de réflexion que s’est déroulé le colloque Applications mobiles en santé : des usages aux enjeux éthiques, déontologiques et juridiques à l’Université du Québec à Montréal.

Différents spécialistes sont venus livrer leur point de vue sur ce monde en pleine ébullition. D’entrée de jeu, les bibliothécaires Nathalie Clairoux et Monique Clar ont rappelé que ce bouleversement s’est fait en un battement de cils, statistiques à l’appui: de 2010 à 2015, le pourcentage d’adultes québécois possédant un appareil intelligent est passé de 16,9 % à plus de 52 % et 30 % des Canadiens ont téléchargé au moins une application en lien avec la santé. Les études concernant les applications mobiles ont d’ailleurs explosé depuis le début de la décennie. Ce déboulement technologique s’est toutefois fait sans balises et cause de nombreux maux de tête aux spécialistes du droit et de l’éthique, entraînés vers des chemins jamais fréquentés.

Comme l’a expliqué Vincent Gautrais, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, la santé mobile n’a pas de normes établies et le temps presse, car l’industrie gère les standards relativement à la protection de la vie privée. Cet enjeu est prioritaire, l’imputabilité des acteurs n’étant pas définie et la loi n’ayant pas déterminé de cadre clair. Le stockage de données confidentielles reste un défi, car beaucoup d’interrogations subsistent concernant le mouvement du flux de données, de même que la situation géographique et l’étanchéité des serveurs emmagasinant ces masses d’informations.

La professeure en médias, culture et communication Helen Nissembaum, de la New York University, a souligné que le questionnement ne s’arrête pas au stockage de données massives, comme ceux provenant des dossiers médicaux. Qu’il le veuille ou non, l’individu laisse des traces lors de son passage dans l’univers virtuel. Que ce soit en textant, en parlant, en jouant sur une application ou en googlant, toutes ces informations transitent vers une «5e dimension». La professeure Nissenbaum rappelait que lorsqu’une personne se branche sur une application et soumet des informations, cette application peut utiliser les services de stockage d’une tierce partie et faire transiter les données vers d’autres plateformes et serveurs… dont les intentions sont inconnues.

Il est très difficile, a soutenu la professeure Lisa Austin de l’Université de Toronto, de contrôler la confidentialité de ce «nuage d’informations», un problème qui ne cesse de s’accentuer avec la popularité croissante de la technologie portable. «La vie privée telle qu’on la connaît est révolue», a d’ailleurs conclu Daniel Weinstock, professeur à la Faculté de droit de l’Université McGill. La solution, a suggéré la professeure Austin, passe peut-être par une nouvelle perception de la vie privée, la définition de nouvelles normes et un changement de paradigme, en optant davantage pour la transparence. Légiférer dans un cadre strict n’est peut-être pas la bonne route à prendre, selon le professeur Gautrais, en raison de la rapidité d’évolution de cet univers. Pour sensibiliser les acteurs, soulignait la professeure de droit Catherine Régis, de l’Université de Montréal, l’accent devrait être mis sur l’éducation, et non le droit.

Malgré les défis inhérents à cette technologie, la santé mobile apporte toutefois une solution véritable à des problèmes récurrents. Les succès existent et ils sont nombreux, comme l’ont démontré plusieurs conférenciers. D’emblée, les échanges d’informations sont plus fluides et la télésanté, par exemple, a permis d’alléger le fardeau de patients résidant en zones éloignées, a rappelé le professeur adjoint à l’Université de Sherbrooke, Éric Maillet. La professeure Régis soutenait par ailleurs qu’une santé participative basée sur le cadre de la justice participative permettrait une meilleure implication de l’individu dans sa santé. En créant des applications par et pour les patients, qui répondent à leurs besoins véritables et qui ont fait l’objet d’une réflexion critique, la santé mobile favorise leur autonomisation et leur éducation. Les applications permettent également de joindre les plus jeunes, nés avec une cuillère technologique dans la bouche. Les expériences heureuses comme +Fort, pour lutter contre l’intimidation, et les projets collectifs visant à développer des outils pour éduquer les jeunes malades, comme BreathLuncher, sont autant d’exemples que la santé mobile devient un outil pédagogique puissant. Le patient, il ne faut pas l’oublier, est de plus en plus informé. Parfois mal, parfois mieux, mais il est indéniable qu’il n’attend plus la consultation médicale pour en apprendre davantage sur sa condition. Les médecins doivent désormais composer avec cette réalité et l’utilisation judicieuse d’applications mobiles permet d’améliorer cette éducation ainsi que l’expérience globale de soins, comme semble le démontrer l’expérience en cours au département d’oncologie du McGill University Health Center. Les applications peuvent même faire partie intégrante du traitement, d’un suivi ou appuyer une démarche pour améliorer sa santé. De nombreux professionnels sont eux-mêmes devenus dépendants de cette technologie dans l’exercice quotidien de leurs fonctions. Encore faut-il que les professionnels soient en mesure de trouver et suggérer les applications de qualité.

La physiothérapeute Claudia Brown soulignait d’ailleurs qu’il en était de la responsabilité du professionnel de proposer des applications efficaces et sécuritaires. Une lourde responsabilité, ont rappelé les bibliothécaires Natalie Clairoux et Monique Clar, car le choix est très vaste et difficile à faire. Même si son utilisation soulève de nombreuses questions, la santé mobile est là pour rester et ce serait jouer à l’autruche que de nier son rôle dans la santé d’aujourd’hui. Elle semble d’ailleurs apporter des avantages énormes dans la relation soignant-soigné. Toutefois, la technologie devra rester un outil visant à appuyer et non remplacer le professionnel, car il est impératif de conserver l’effet « humain » de cette relation.

La question de l’imputabilité entourant l’utilisation de ces technologies nécessite également d’être rapidement adressée, tout comme la notion de vie privée, et il est impératif que les normes soient rapidement redéfinies. Pendant qu’on se questionne sur les défis actuels, l’industrie continue sa progression à pas de géant. Le professeur Weinstock a invité à « ne pas céder devant le déterminisme technologique », mais comme l’a précisé le professeur Gautrais, il est grand temps pour le milieu de la santé d’emboîter le pas, et vite, avant d’être complètement dépassé.

 

English version

The International conference on Mobile health applications: from their use to their ethical, deontological and legal challenges was held at UQAM on November 22nd with a total of almost 100 participants and was co-organized by the SG Internet and Health, the SG Ethics and Integrity of the Quebec Population Health Research Network (QPHRN) and the Centre for Research on Communication and Health (ComSanté-UQAM).

This conference brought together researchers from different disciplines and professionals from the health care and mobile health applications industry as well as patients to reflect on the ethical, deontological and legal issues surrounding development, implementation, and evaluation of mobile health applications. The conference was mainly in French with a few presentations in English.

The opening remarks of the conference were made by Prof. Joseph Lévy, from the Department of Sexology, at UQAM. Natalie Clairoux and Monique Clar, two librarians from the University of Montreal presented the abundance of choice and mobile health applications. Then, Prof. Christine Thoër from the Department of Social and Public Communication, UQAM, talked about the privacy of data and how it should be considered in today’s world.

Prof. Catherine Régis from the University of Montreal talked about participatory health culture through the lens of participatory justice. Prof. Vincent Gautrais, from the University of Montreal, discussed the legal aspects of mobile applications, and how these should be considered. Prof. Helen Nissenbaum, from New York University, discussed the very interesting aspects of small data and how privacy matters could be considered in this aspect. Prof. Lisa Austin, from the University of Toronto, talked about privacy and mobile apps and debated whether we need a new paradigm to address privacy in this context.

The second part of the conference was about application development, marketing, and evaluation. Some mobile health applications that were either newly developed or under development were presented: applications in health settings such as an application for an oncology department communicating patient waiting times which has the ability to transfer results to patients directly, a collective creation of free games in health, and a mobile application to support young victims of bullying were among those introduced.

At the end, there was a roundtable on using mobile applications in caregiving relationships with the participation of patients, health care professionals who had developed or were in the process of developing an application. Patients were sharing their experience of using such applications and how they found it useful in their life. Some time was also allocated to the public’s questions at the end of the roundtable, ending with some lively discussion on the future prospects of the industry.